Paru en Mai 2008 dans Marie-Claire :
ça balance à Buenos Aires
En 2001, la crise met l'Argentine à plat.
Mais les argentins résistent et se lancent à fond dans le système D.
Aujourd'hui, le pays a relevé la tête et, des bars à tango aux boutiques design, enchaîne les success stories.
Rencontre avec des personnes qui font bouger la capitale.Maria prépare des grillades dans son jardin luxuriant. Maria est architecte, divorcée, mère de 4 enfants. Elle lève les yeux vers la maison qu'elle a dessinée et fait construire il y a 2 ans, et remarque, presque incrédule :
"On revient tous de loin. Je revois ce matin de décembre 2001 où le ministre de l'Economie a annoncé à la télé que les banques étaient dorénavant fermées et que, pour une période indéterminée, on ne pourrait plus accéder à nos comptes, ni retirer de liquide.
Quelle panique !
Je n'avais que quelques pesos dans la maison, les voisins et amis aussi, tout était à la banque !
On s'est débrouillés pendant 4 jours, en troquant, en faisant des repas collectifs...
Puis les pillages ont commencé,
les émeutes de la faim,
la souffrance
et la colère.
Heureusement, nous sommes un peuple orgueilleux et débrouillard ;
plus la situation est difficile et plus nous sommes créatifs.Plus on nous écrase et on nous rabaisse, plus on devient forts et prétentieux...
Savez-vous comment un argentin se suicide ? En se jetant de son ego ! "
Elle éclate de rire et poursuit : "Il n'y avait plus que le système D.
Mon amie historienne de l'art s'est mise à fabriquer des steaks de soja pour les vendre dans les boutiques.
Moi, j'ai eu l'idée d'emprunter 5 kg d'oranges à mon épicier (je n'avais rien pour le payer),
j'ai attrapé les gobelets en plastique qu'il me restait,
un presse-agrumes
et une petite table.
Je me suis postée dans le parc de Palermo pour vendre du jus aux joggeurs stressés.
Mes enfants n'avaient pas avalé un vrai repas depuis 2 jours et je me suis dit qu'avec 5 jus à 1 peso (10 centimes d'euro), je pouvais faire un plat par jour. Tout le monde me regardait comme une bête curieuse, c'était humiliant et il faisait une chaleur intolérable. Je n'ai rien vendu le 1° jour et mes enfants n'ont pas mangé.
Le lendemain, je suis revenue avec une énorme pancarte jaune qui disait :
"Buvez du jus d'architecte,
mettez un sourire à la crise,
voici mon CV."
Et les gens sont venus...
C'était comme un miracle.
Ma cadette, qui avait 9 ans à l'époque, tenait la caisse, les gens parlaient, riaient, pleuraient, se confiaient.
Au bout de quelques mois, je vendais 400 jus par jour et je gagnais plus d'argent que lorsque j'étais architecte !Chaque mois, je mettais la photo du "client du mois" sur ma pancarte,
les gens venaient plus pour parler que pour boire,
et j'ai publié un livre sur ces rencontres extraordinaires.
J'ai embauché 9 personnes,
l'affaire est devenue une PME et cela a duré 2 ans.
Cette histoire m'a appris l'humilité, la valeur de la solidarité et j'ai découvert mes ressources intérieures.Aujourd'hui, l'Argentine a le vent en poupe,
tout le monde a des projets,
l'immobilier décolle car plus personne ne fait confiance aux banques.
Les gens investissent dans les maisons, les boutiques...
Je n'ai jamais autant travaillé."...
"Nous n'en finissons pas de redécouvrir notre culture,
nos racines,
notre identité, remarque Fortunato Mallimaci, sociologue et doyen de la faculté des Sciences sociales de Buenos Aires.
Nous qui jusqu'à la crise avions toujours les yeux rivés sur l'Europe et les Etats-Unis, nous nous réapproprions notre pays.
Beaucoup de jeunes se sont lancés dans des entreprises audacieuses et créatives puisqu'ils n'avaient pas grand-chose à perdre....
Paco Savio, 41 ans,
fondateur de l'agence de publicité Remolino.
Lorsque la crise a éclaté, j'ai perdu mon travail et assisté à la dégringolade des projets et des opportunités de mon pays. Je me suis exilé à Barcelone...
Je suis revenu au pays il y a 1 an pour y fonder ma propre agence de publicité.
C'est
un rêve devenu réalité : j'emploie 40 personnes et nous avons 50 clients, répartis dans le monde entier.
Notre atout ?
Nous sommes argentins :
créatifs, réactifs, à petits tarifs !Maria Sol, 33 ans,
créatrice avec sa soeur d'
amor Latino, marque de lingerie fine
Lorsque la crise a éclaté, je finissais des études de psy mais ne voulait pas devenir psy, ma soeur ne voulait pas être prof...
Nous n'avions rien à perdre et avons réalisé notre rêve : dessiner et vendre de la lingerie.
Nous avons créé
un collectif de créateurs et utilisé le jour l'espace de restaurants du soir pour y vendre nos créations.
Nous avons assisté à la réouverture des usines locales et pu confectionner nos produits à moindre coût.
Aujourd'hui, nous avons 3 boutiques, 9 employés et nos produits sont fabriqués dans 8 usines dans le pays.
Prochain objectif : exporter !
Ana Armandariz, 32 ans,
fondatrice de l'espace artistique
Canasta.
La crise... Cela a été un choc, j'ai perdu tout l'argent que je possédais en banque
et sombré dans une longue dépression.
Je n'ai même pas tenté de me battre.
J'ai divorcé de mon mari
et
j'ai décidé de changer de vie.La crise m'a donné la liberté de tout recommencer !Avec 4 amis, j'ai fondé un espace à la fois culturel, artistique et convivial : on y projette des films, on y vend des vêtements de stylistes et du pain fait maison, on y expose des photographes...
Le local nous coûte 100 pesos (10 euros) par mois chacun.
C'est une période passionnante, il y a tant à faire !