Février 2010 : Bazar magyar de Vivianne Chocas

Bonjour les filles,

.... " Parfois, il suffit de manger pour
que tout, ou presque, puisse être dit. "

Pour Klara, c'est une aubaine,
car Zsuzsa et Péter, ses parents, ne lui ont rien transmis de leur histoire, restée cadenassée derrière le rideau de fer.
Seule concession à leurs origines, la cuisine de Zsuzsa entre goulash et Tokay.

Klara chérit ce lien.
Son alphabet intime,
ce sont ces voyelles paprika,
ces consonnes galuska,
ces accents graves au goût de noix,
aigus à l'amertume du concombre.

Pour le reste,
-l'exil en 1956,
la famille,
le Danube-,
elle va tout imaginer, recomposant ainsi son identité, son " bazar magyar" .

Un livre qu'une fois goûté, on garde en mémoire et en bouche.
Quatre recettes de cuisine hongroise, inédites et savoureuses, figurent en fin de volume. ...




Ce premier et court roman se présente presque comme un livre de cuisine ;
chaque chapitre porte le nom d'un plat typique de Hongrie : Farsangi fank, Szalami es Tokaji, Rakott palacsinta...
( beignets d'abricot, salami et Tokay, méli-mélo de crêpes et de noix ).

Les parents de Klara ont fui la Hongrie en 1956 ( après l'insurrection de Budapest écrasée par les chars soviétiques ) ;
une fuite sans bagages ( une brosse à dents ? ),
sans souvenirs,
sans langage...

une vie,
une histoire familiale,
un pays, bannis de la mémoire pour cause de communisme et dont les seules traces sont ces visites régulières à la vieille épicerie de " Suba ur " et ces spécialités gourmandes aux noms imprononçables !

Alors Klara va partir à la recherche, à la découverte de ce monde, de cette histoire, de ce quelque chose en elle dont elle est orpheline....
et apprendre qui elle est au bout de son voyage.

Avec une écriture savoureuse,
un ton chaleureux et tendre, Viviane Chocas nous conte la difficulté d'être soi quand on est loin de là d'où l'on vient ;
et cette quête des origines,
pleine de nostalgie
et de souvenirs d'enfance se déguste comme un délicieux petit plat.

Mais si ce livre est léger, doux et plein d'anecdotes amusantes et émouvantes ( l'examen du baccalauréat ! un grand moment ! ),
il ne faudrait pas oublier qu'il aborde tout en délicatesse et pudeur, des thèmes forts et terribles :
le déracinement,
l'exil,
les traumatismes subis,
la culpabilité,
le silence des parents...
et aussi le Rideau de Fer, un pays dominé, nié dans son identité, un peuple écrasé...
et encore, la deuxième génération, la place de ces enfants issus d'un ailleurs blessé... ( .qui a parlé d'identité nationale ? )

Difficile de parler de ce livre...
il faut le goûter, le déguster...
apprendre ses saveurs étrangères,
écouter ses " voyelles paprika ", ses " consonnes galuska ",
et laisser cette petite histoire vous parler de la Grande...

Pour vous mettre l'eau à la bouche :

...." A la maison, mes parents ne prononçaient pas un mot semé, germé et mûri sur le territoire noir de leur enfance, de leur adolescence. C'eût été comme une inconvenance, une terrible impolitesse, un manque total de savoir-vivre. Mais les saveurs du goulasch, oui, presque par inadvertance, elles se sont glissées sur la table. Et je croquais gamine avec ardeur dans le poivron jaune, attentive à me remplir la bouche de cette pâte spongieuse et tendre à mastiquer. Je mangeais avec application, exactement comme on arpente les premiers mots d'une dictée. Les mets composaient la seule mémoire vive cédée, concédée, transmise, voyelle paprika, consonne galuska, accent grave dans la chair de la noix, aigu dans l'amertume du concombre. Ils ont creusé mon premier attachement à la langue de là-bas, un déchiffrage à jamais collé aux sens, qui me hante et m'accompagne de son pouvoir d'éveil. Grâce aux plats et aux odeurs, à ces saveurs dégluties et remâchées jusque dans mes rêves les plus sourds, au fil des années, j'ai pu envisager les lettres, les groupes de lettres, les mots hongrois, l'étoffe de la langue puis les visages, les corps et le choc des ressemblances, la rencontre d'une famille, d'une certaine géograpgie de l'Europe centrale, enfin. "

..." A midi pile, les cloches retentissent. Les visages, comme un gigantesque damier, pivotent, au balcon vient d'apparaitre Matyas Szüros, le président de l'Assemblée hongroise. Il se penche vers le micro : " Je proclame solennellement que le Parlement a transformé la Constitution. A partir de ce jour, notre Etat est la République hongroise. " Une puissante ovation roule en tonnerre, l'orateur avance une paume sur ce grondement des airs pour tenter de poursuivre son discours.
...Moi je ne pense plus. Je me raidis dans mon costume de journaliste qui enregistre, trie, fera imprimer les témoignages...Je les regarde, je ne les regarde plus. Parce que je fuis, je m'enfuis de cette foule collante vers le pont, vers le parapet, face au fleuve je me colle à la pierre, j'ai remonté les heures, les minutes, je veux retourner au chant, au vent qui pénètre les gorges, " Dieu, bénis les Hongrois dans la joie et l'abondance " ...Je n'ai fait que les imiter, enfin j'ai pleuré, des pleurs lourds, lourds, épais, gras, une délivrance. Un chagrin dont j'ai hérité à ma naissance, sans mot dire. Un chagrin maudit. "

..." J'ai toujours pensé que le verbe avait une épaisseur. Certains mots se déchirent, se plissent ou s'aplatissent dès que l'on mord dedans, d'autres se cabrent, ne se dégustent que par lamelles, mijotent sous la dent avant de délivrer des sensations édifiantes. De l'amer, de l'acide, du sucré. Du froid dehors, du chaud dedans.
Les mots se mâchent comme les mets. Cette quête a fait surgir un autre goût de la langue. "



Vivianne Chocas a une cinquantaine d'années ;
journaliste depuis 20 ans,
elle a travaillé comme reporter pendant près de 10 ans pour le Parisien,
puis dans la presse magazine en tant que spécialiste des questions de santé, de société, de psychologie, de transmission des savoirs et des mémoires.
Elle a réalisé des reportages TV sur les familles comportant 5 générations et sur les femmes sans domiciles fixe.
Elle a créée des ateliers d'écriture dans des maisons de retraite et participé à l'élaboration de recueils collectifs.

Elle est également co-auteur avec le docteur Daniel Annequin, chef de l'unité douleur de l'Hôpital Trousseau à Paris
de " T'as pas de raison d'avoir mal ", le combat d'un médecin contre la douleur de l' enfant, aux éditions La Martinière en 2002.


" Bazar magyar ", son premier roman est paru aux éditions Héloïse d'Ormesson en 2006
et réédité chez Le Livre de Poche.

Alors j'ai été très surprise par la 1° phrase "Il suffit de manger...."
J'ai apprécié énormément la description de l'alphabet intime...

et j'ai une question pour Dame Rondine : Comment choisis-tu tes lectures ?
ou plutôt qu'est-ce qui t'a fait choisir ce livre ?

Bonsoir Dame Claire,

Je ne choisis pas les livres !!!! En fait, ils me plaisent tous !!! Alors, je fais des listes...je suis la reine de la liste...et je noircis des pages et des pages !!!!
Ensuite, je me tiens à la règle que je me suis fixée : je n'achète que du format poche ....donc j'attends que les titres de mes ( interminables ! ) listes passent en poche !!!
Et je vais régulièrement acheter d'occase chez Gibert....d'ailleurs, si vous y croisez une folle qui cause toute seule, de longues fiches bristol à la main, accroupie dans les rayons...vous avez une chance que ce soit moi !!!! ou une des quelques autres dingues qui font la même chose !

Quant à Bazar magyar, je ne l'avais pas noté à sa sortie ( tellement encensé par ses confrères journalistes...j'avais un à-priori... ) mais la couverture du format poche m'a fait craquer !!! comme quoi, ça tient pas à grand-chose une belle rencontre !!! )

Bisettes,
Rondine

alors moi et la lecture....
j'aime la lecture pourtant ...mais pas le tps de trouver un moment à moi pour lire,et pourtant j'aimerais,j'aimerais bien trouver un moment pour aller à la médiathèque avec les filles,car elle aussi elles adorent lire surtout Eva.

Tu sais fabienne, Petite a 18 mois et je ne relis que depuis quelques mois...

sa fais un an que j'ai pas ouvert un livre maintenant,le dernier c'était les misérable et encore parce'que j'avais que ça à lire....mais c'est vrai en plus avec les petit c'est pas évident de trouver un moment pour lire